Wednesday, April 4, 2012

Fort Romeau - Kingdoms



Fort Romeau, contrairement à ce qu’il y paraît, n’est pas français. En réalité derrière ce pseudonyme francophone se cache un énième music-maker d’outre-manche, un compositeur roastbeef, et rouge jusqu’aux oreilles. Mais ce pseudonyme, ce nom d’artiste, a sa raison d’être : la philosophie musicale de Mike Norris est très continentale, si l’on veut excepter la mention française. Ami d’enfance d’Alan Myson (l’homme derrière Ital Tek), il est en fait au sein du groupe de tournée de La Roux depuis 2008. Voilà bien des renseignements qui ne situent pas un homme, ni ne le posent, et qui peut-être au contraire l’amoindrissent : effectivement, si on en a rien à foutre de la rousse, on peut alors légitimement se demander quelle raison j’aurais de faire part de ce détail peu glorieux, et tout au plus inintéressant? La raison, tas d’incultes fainéants, est que cela permet de mieux mettre en valeur son premier LP, Kingdoms, sorti la semaine passée, et qui est, s’en faut peu, une perle, tout simplement. Ou comment désamorcer tous les présupposés.


Parce que des préjugés, il y avait beaucoup de raisons d’en avoir. Présenté tel qu’il est, les références de Fort Romeau ne le font pas jouer dans la même catégorie que la musique à laquelle j’adhère. Publié chez 100% Silk, label que je suivais autant que je le détestais en raison de son irrégularité dans la qualité de ses releases, il possède un artwork d’assez mauvais goût, et se targue à la vente et dans les médias de reprendre l'acappella du célèbrissime ‘My House’ de Chuck Roberts et Larry Heard en tant que track phare du LP. Encore de l’inélégance. L’artiste quant à lui, avait été aperçu dans les soirées parisiennes du plus mauvais goût, et s’associait avec un milieu qui réclamait plus à la hype qu’à l’art. Ca fait trois fois maintenant. On a peur en entrant dans ce LP. La tracklist, effrayante, nous fait presque croire à une blague. De mauvais goût, une fois de plus.

Et lorsque la bien-nommée (notez l’ironie) ‘Jack Rollin’ commence, on plonge… non pas dans les abîmes de la bêtise, du kitsch et du commun, mais dans un océan de saveurs des plus fines et des plus inattendues. Pour tempérer ce jugement un peu extravagant, je dirais que ‘Jack Rollin’ est une introduction qui nous fait espérer et hésiter à la fois. Espérer quand on pense que la minute qui précédait, on s’attendait au pire, et qu’on croit désormais en un album potable ; hésiter car on sait que cette entrée en matière, si elle nous surprend, n’est peut-être pas au niveau, tout compte fait. Rendons à César ce qui est à César : la qualifier de bien nommée n’a plus rien d’ironique. Le sample de ‘My House’, est ici tout à son avantage, car si on reconnaît immédiatement le voix presque abusée de Charles Roberts, la manière dont il est employé rend service à la track et fait honneur à son réutilisateur. Norris lui retire tout son sens, lui en donne un nouveau, et l'on arrive presque à croire à la fin du morceau que ce sample nous est inconnu. Ainsi, le Fort arrive à le passer sans nous faire vomir, comme on dilue une vodka de supermarché chaude et bas de gamme dans un Tropicana bien frais. Cependant, on peut se demander à raison si l’effet de surprise ne joue pas trop en sa faveur, et cache par là un contenu assez pauvre : deep house léchée mais entendue des milliers de fois, nappes aussi chiantes que luisantes… Le travail effectué ne retire en rien le coté plus ou moins inintéressant de cette deep house qui ressemble à s’y méprendre à tous les C-Beams et autres Manuel Tur… Que j'adore par ailleurs.

Mais peut-être que la prouesse n’est pas là. Peut-être qu’avec un peu de recul, on peut arrêter de cracher sur tout ce qui sonne doux et sent le cliché, et s’arrêter sur ce qu’il y a bon. Et le bon dans tout ça, c’est qu’à l’inverse de la house minimaliste, ou de l’italo-disco fainéante, Fort Romeau réussit à se construire un univers, laisser une empreinte, et en s’éternisant sur ce qui lui est cher, à savoir les sons du Chicago d’environ 1990, cette house se forge un caractère, une marque de fabrique. On est aussi loin de la tech-house que de la dance, et pourtant chacun des 8 tracks semble tremper dans l’une ou l’autre, tantôt plus agressive, tantôt plus dreamy. ‘Kingdoms’ pourrait être l’ovni au sein d’une mauvaise compilation Discodust, et cela n’a jamais semblé de meilleur goût  en ces temps de house formatée à la sauce Crosstown. Un voyage un peu rétro, deux ou trois ambiances carte postales, et enfin un gros travail pour faire de cet album aussi bien une possible future expérience live, qu’un LP digital des familles. Ca se conjugue avec les boîtes, les salles de concert, les festivals outdoor, et il suffit d’écouter ‘One Night’ pour s’en convaincre. La superposition  des couches de synthé, l’apport des effets, toute la construction, plus sophistiquée qu’il n’y paraît sans doute, appelle à de belles expériences au coucher de soleil, tandis que la Hot Creations-like ‘Say Something’ serait plutôt une fermeture de set, au crépuscule du matin. ‘Theo’, ‘I Need U’, celles-là aussi appellent à se coucher très tôt et à se lever en fin d’après-midi. Quant à ‘Some Of Us Want For Nothing’ et son petit passage faussment acid, ou ‘Nights Bridge’, pièce downtempo maîtrisée, ils font la diversité nécessaire à une écoute agréable de cet album. Tout au long de l’opus, on a sereinement navigué entre l’atomsphère étoffée et la production léchée de la deep house des années 2000, et l’aspect nostalgique ainsi que la nervosité rythmique de la Chicago house circa 1990.

Tout compte fait, l’album, s’il dégage une idée précise (et passée) de la house, est plus à prendre comme un hommage à l’ensemble des différentes influences qu’on peut retrouver chez Fort Romeau (Chicago notamment, mais aussi un peu de retour vers une deep house plus récente) hommage rendu avec révérence et talent de la part d’un briton, qui décidément n’a pas grand-chose d’anglais. À l’heure du plébiscite d’Amirali ou de Benoit & Sergio, et de la vague Minimal House, il faut se demander si un album, aussi imparfait soit-il, qui se détache du lot ainsi, n’a pas plus à offrir que ce qu’il n’y paraît. Loin de moi l’idée du nivellement par le bas, je prétends au contraire qu’on pourrait trouver dans des hommages de ce genre des sources d’inspiration autres que le trou noir idéophage de la minimale et de la tech-house. Et que les choses simples, tel ce Kingdoms, peuvent être appréciées de tous non pas parce qu’elles ne valent rien, mais parce qu’elles nous emmènent dans ce temple secret qui n’est indiqué sur aucune carte : la mémoire. Ainsi, chacun se rappellera les bons moments passés à écouter les tubes houses de l’ancien temps… Franchement, qui dit non à ce plaisir ? Trop Fort, Romeau.

Fort Romeau, Kingdoms
100% Silk
2012

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